Ignace-Joseph de CLAUSSIN
Ignace-Joseph de CLAUSSIN
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Le chevalier Ignace-Joseph de Claussin est un des types les plus curieux du genre amateur. Né à Lunéville en Lorraine, soit en 1766 ou en 1795, il habita Londres (TitchfieldStreet) vers la fin du XVIIIe et au commencement du XIXe siècle, parait avoir travaillé quelque temps à Amsterdam, puis s'établit à Paris. A Londres il publia, en 1804, sous le nom de son éditeur J. H. Green, en anglais, un catalogue des estampes de Callot. Vieux et oublié, il mourut aux Batignolles, faubourg au nord de paris, à cette époque encore une commune séparée. Il exerça lui-même la gravure à l'eau-forte ; son œuvre de plus de 200 feuilles offre des pièces d'après Rembrandt et De Boissieu, ses deux maîtres préférés (étrange contraste !), et d'autres d'après Potter, Berchem, Du Jardin, Wille, Schmidt, etc. Le sentiment extrême qu'il avait des mérites des anciens artistes hollandais, se manifesta par sa véritable vénération pour Rembrandt. Il le connaissait à fond, tant par les nombreux dessins qu'il en avait possédés que par son étude approfondie, dans différentes collections, de l'œuvre gravé du maître. Le résultat de ses recherches se trouve consigné dans sonCatalogue raisonné des estampes qui forment l'œuvre de Rembrandt (1824,suppl. en 1828), dans lequel il a augmenté les catalogues précédents deGersaint, Bartsch, e. a., sans toutefois parvenir à voir son travail remplacer celui de ses devanciers. Il possédait une réunion d'admirables épreuves deRembrandt, renfermées dans un petit portefeuille qui ne le quittait jamais. Il mettait le soir ce portefeuille sous son chevet ; il couchait dessus, et il se levait la nuit pour remarquer quelque nouvelle perfection qui lui sautait aux yeux pendant un rêve. Il avait juré de ne s'en séparer qu'à sa mort. Pourtant le contenu de ce portefeuille n'a jamais paru dans ses ventes après décès, et il faut supposer qu'il l'a cédé, à l'amiable peu avant sa mort. Peut-être était-il compris dans le lot que Claussin aurait vendu, dit-on, pour payer les plans d'un architecte. L'ardeur, avec laquelle il poursuivit l'achat des eaux-fortes deRembrandt est illustrée par l'anecdote rapportée par Ch. Blanc (L'œuvre deRembrandt 1859 p. 98). A la vente Pole Carew, en 1835, passa une superbe épreuve du rarissime portrait de Tholinx par Rembrandt. « La chaleur des enchères était a son comble. Toutes les physionomies paraissaient altérées. M. de Claussin respirait à peine. Quand l'estampe passa devant lui, elle avait déjà monté à 150 livres ! Il la prit d'une main tremblante, l'examina quelque temps à la loupe et mit 5 livres, mais en un tour de table, l'enchère s'éleva à 200 livres (5000 frs !) ; le pauvre Claussin était pâle ; une sueur froide ruisselait sur ses tempes. N'y pouvant plus tenir, et sentant qu'il avait affaire à quelque puissance, il essaya de fléchir le compétiteur inconnu qui lui faisait une si rude guerre. Après avoir balbutié quelques mots en anglais : « Messieurs, reprit-il dans cette même langue qu'il parlait à peu près comme sa langue maternelle, vous me connaissez, je suis le chevalier de Claussin ; J'ai consacré une partie de mon existence à dresser un nouveau catalogue del'œuvre de Rembrandt, et à copier à l'eau-forte les plus rares estampes de ce grand maître. Il y a 25 ans que je cherche l'Avocat Tolling, et, je n'ai guère vu ce morceau, que dans les collections nationales de Paris et d'Amsterdam, et dans le portefeuille de feu Barnard, où se trouvait l'épreuve que voici. Si cette épreuve m'échappe, il ne me reste plus, à mon âge, d'espérance de la revoir. Je supplie mes concurrents de prendre en considération les services que mon livre a pu rendre aux amateurs, ma qualité d'étranger, les sacrifices que je me suis imposé toute ma vie pour composer une collection qui me permit de faire des remarques nouvelles sur ce bel œuvre de Rembrandt ... » Un peu de générosité, messieurs, ajouta-t-il, pour sa péroraison ; il avait déjà les larmes aux yeux. Ce speech inattendu ne fut pas sans produire quelque sensation. Beaucoup en furent touchés ; quelques-uns souriaient, et racontaient tout bas que ce même M. de Claussin, qui était capable de pousser une estampe à 4 et 5000 frs., était souvent rencontré le matin dans les rues de Londres, allant chercher 2 sous de lait dans un petit pot. Mais après un moment de silence, un signe fut fait à l'auctionner (sic), une enchère fut criée « , et le marteau fatal tomba sur le chiffre de 220 livres ! ... On sut alors seulement que l'heureux acquéreur était M. Verstolk de Soelen, Ministre d'Etat en Hollande. ». La familiarité du chevalier de Claussin avec toutes les principales collections de l'Angleterre et de la Hollande, le mit toujours à l'affût des ventes qu'on annonçait à l'étranger. Il s'y rendait alors aussitôt. Ainsi, pendant une cinquantaine d'années, il avait été mêlé à toutes les transactions importantes, avait acheté, échangé, vendu ou étudié tout ce qui existait de remarquable en dessins et eaux-fortes de l'école hollandaise. Tout ce qu'il possédait prenait entre ses mains une valeur nouvelle, et il avait le talent de se faire prier par les amateurs, qui couvraient d'or les pièces qu'il leur cédait. C'est de lui que Revil (voir L.2138) avait obtenu ses plus beaux dessins, e. a. un Adriaen van de Velde pour 5000 frs., et que le collectionneur Debois (voirL.985) avait obtenu quelques-unes de ses plus rares estampes, e. a. deux petits Rembrandt 2500 frs. Les grands marchands Woodburn et Mayor de Londres, toujours à la poursuite de pièces exceptionnelles, avaient souvent essayé en vain, de le séduire en lui offrant des prix considérables pour certaines pièces. Lui faire ouvrir ses cartons n'était pas toujours chose facile, et il fallait avoir des titres sérieux à cette faveur. Il couvait ses quelques portefeuilles au contenu si rare, comme un avare jaloux son trésor. Plusieurs années avant sa mort il s'était déjà retiré du mouvement des arts et du commerce. Entièrement inconnu, presque octogénaire, il vivait seul dans un réduit de quelques pieds carrés, entouré d'une douzaine de chiens et d'autant de portefeuilles, dans un état que ses voisins croyaient près de l'indigence. Mais ses trésors d'art, où il faut comprendre sa collection remarquable de montres, lui suffisaient, et bien rarement quelque marchand ou amateur qui se rappelait les raretés qu'il devait posséder, le visita. Faute de parents, une garde-malade lui ferma les yeux. Mais un curieux personnage, « expert honoraire des musées », homme que ses collègues moins ignorants et moins étranges ne se lassaient pas de dénigrer, avait été un ami de ses vieux jours, et fut naturellement chargé de la vente. On verra ci-dessous avec quel triste résultat. Les collections furent estimées 100 écus dans l'inventaire, alors que les connaisseurs initiés attribuaient facilement aux dessins et estampes une valeur de 60.000 à 80.000 francs. Nous sommes redevables de beaucoup des curieux détails sur Claussin, rapportés ci-dessus, au Cabinet de l'amateur et au Bulletin de l'Alliance des Arts de l'année 1844.
Il meurt à Paris en 1844.
Bibl. : Wikipédia .org
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